Au doux son d’une berceuse, je m’éveille dans ta maison. Il me semble reconnaître une chanson d’amour, pourtant je n’en suis pas convaincu. Cette étrange journée me fait entendre d’autres voix alors que j’entreprends la marche de 17 secondes qui me sépare du salon. La nuit, la maison est froide et lorsque le téléphone sonne, j’ai comme l’impression d’une maison hantée. Un mauvais numéro semble-t-il. J’essaye de ne pas pleurer, d’être un homme en posant ma tête sur la porte me séparant du jardin suspendu. Cela semble juste comme le paradis, mais en réalité une forêt épaisse m’attendait. C’est comme un labyrinthe et je me vois tomber dans un piège. Le cri que je pousse n’y changera rien, ce n’est jamais assez, tu semblais si proche de moi en ce vendredi où j’étais amoureux, mais il ne me restera que les photos de toi lorsque je retournerai au lit.

Cette introduction peut sembler déroutante, il est vrai mais les lecteurs les plus habiles auront vite fait de reconnaître une bonne partie des chansons qui ont fait la réputation du groupe The Cure. De quoi, en quelques lignes se persuader de la richesse de ce groupe et de son apport à la musique.

Au moment de fêter les 40 ans de carrière de Cure et alors qu’il foule actuellement les terres françaises, il est intéressant de revenir sur l’histoire scénique du groupe de Robert Smith, à travers le prisme de quatre de ses concerts vécus ces quinze dernières années.

Quinze ans c’est long et pourtant ce n’est qu’une infime partie et peut-être la moins intéressante de ce groupe aujourd’hui devenu mythique. Il est passé, le temps de la « Curemania » où les jeunes se rendaient au lycée avec les cheveux dans tous les sens, où les garçons aussi mettaient du rouge à lèvres. Il est passé, le temps où l’on voyait les clips vidéos idiots de Cure sur MTV, où l’on attendait fébrilement le prochain album.

Ce qui n’est pas passé, en revanche, c’est la fougue toujours aussi impressionnante dégagée sur scène par Robert Smith et ses copains, et ce dans des salles qui affichent toujours complet.

Alors plutôt que de nous attarder sur ces temps bien lointains et désormais connus de tous, intéressons-nous à ces quinze dernières années beaucoup moins prolifiques en termes de nouveautés, mais tout aussi passionnantes.

Festival des Vieilles Charrues – Carhaix – 2002

En 2002, le groupe entreprend une nouvelle tournée, quelques mois après avoir sorti leur premier vrai best of, simplement intitulé Greatest Hits. Les Anglais passent alors par le Festival des Vieilles Charrues qui, à l’époque encore, avait quelque chose d’humain. Tout le monde s’attendait à entendre sur scène les titres les plus accessibles et dansants du répertoire. Mais à quelques heures du concert, Robert Smith donne une interview expliquant qu’il aura à cœur de faire plaisir aux fans en leur proposant les chansons plus sombres du début de sa carrière, les albums les plus appréciés des critiques, mais aussi ceux qui se sont les moins vendus…

Le soir-même, Robert Smith est le premier à rentrer sur scène, guitare à la main. Il se met alors à entonner une petite partie de Seventeen Seconds en solo, confirmant par la-même ses déclarations. Une telle entrée en matière, si peu commune, réjouira d’ailleurs longtemps les fans de la première heure.

Mais très vite résonne la presque désormais traditionnelle Plainsong au doux son du carillon immédiatement reconnaissable. Et s’ensuit alors une série de chansons fantastiques comme Shake Dog Shake, The Figurehead et même The Drowning Man qui, pour une entrée en matière n’est pas très famial. Du côté des surprises, citons The Baby Scream, la petite dernière single du Best Of, Cut Here et, rétrospectivement les chansons issues de l’excellent Bloodflowers qui n’ont plus vraiment de place dans les set lists actuelles. Bien entendu, les titres pop feront leur effet, mais n’interviendront que lors des rappels, c’est à dire bien tardivement pour les non-initiés. Résultat, le public se partagera entre les fans clairement satisfaits et qui en redemandent et les festivaliers davantage déçus d’avoir eu à attendre si longtemps pour reconnaître le moindre morceau.

Le petit plus de ce concert aura été son finish, puisqu’à la fin de A Forest, un grand bruit sourd s’est fait entendre, celui des techniciens qui coupaient le son sur scène, voyant que le groupe avait clairement décidé de jouer son tarif habituel de trois heures. Mais il fallait bien faire démarrer Hawksley Workman, qui avait patienté plus que de raison.

La Route du Rock – St Malo – 2005

Unique étape française du groupe cette année-là, la Route du Rock a touché le gros lot. Il faut dire que le petit festival a mis les petits plats dans les grands en proposant plus de deux heures de concerts au groupe, supprimant ainsi un nom de sa programmation le samedi soir.

Arrivé en Bretagne en famille, Robert Smith est comme en vacances. Lors des répétitions, on l’aperçoit en short sur scène en train de glandouiller après avoir joué intégralement At Night. On le verra ressortir dans une voiture avec ses traditionnelles lunettes noires sur le nez.

En 2005, nous ne le savions pas encore vraiment – puisque aucune parole de Smith ne peut réellement être prise au sérieux sans en avoir la preuve concrète – le groupe préparait un DVD nommé Festival 2005. Une œuvre un peu hybride et finalement assez bizarre, mais qui avait pour objectif d’offrir les meilleures prestations scéniques de chaque titre proposé sur le DVD. Ainsi au travers de l’Europe, neuf concerts ont été captés par les caméras, pour ne former qu’un seul et unique concert aux décors changeants. Le concert de la Route du Rock en faisait partie.

On s’attendait cette fois-ci à ce que le groupe défende son dernier-né, le bien nommé The Cure, qui avait de quoi bastonner en concert, mais ce projet a écarté cette ambition et à vrai dire, a clairement annoncé la fin des tournées à album de Cure. Bloodflowers sera donc le dernier album qui aura bénéficié d’une vraie tournée en 2000.

En cette deuxième journée de festival, le Fort St Père s’est littéralement transformé en lieu de ralliement de dépressifs qui s’assument. L’anglais était presque devenu la langue officielle, mais heureusement l’ambiance et la convivialité étaient toujours présentes. Et la part belle sera donc faite aux titres plus pop et plus accessibles. Mais Robert sait toujours distiller les petites perles noires de ses glorieuses périodes créatrices. Au rayon des surprises en revanche, nous aurons droit notamment à Signal To Noise, la face B du single Cut Here du Greatest Hits, très improbable du coup et à la magnifique A Letter To Elise.

Certaines des chansons jouées ce soir-là sont donc à revivre sur le DVD Festival 2005.

Palais Omnisport de Bercy – Paris – 2008

C’est donc l’année de la dernière sortie album de Cure. 4:13 Dream, fort de sa communication quelque peu bancale, n’arrivera pas à convaincre autant que son prédécesseur. Projet apparemment bridé, puisqu’il devait s’agir d’un double album, nous n’en aurons finalement qu’une partie plutôt inégale. L’opus regroupe d’excellentes chansons, mais aussi des titres dispensables. Le groupe a peut-être atteint une limite cette année-là. D’autant que le line-up du groupe change quelque peu avec le départ de Roger O’Donnell et la transformation physique de plus en plus visible de l’excellent guitariste Porl Thompson… The Cure a définitivement adopté les concerts rétrospectifs de l’ensemble de sa carrière. Le groupe est parti en tournée avant même la sortie de l’album et le public découvre les nouveaux titres de Cure sur scène, au beau milieu des hits.

Pour confirmer les aléas de la sortie de 4:13 Dream, la chanson A boy I Never Knew a été joué alors qu’elle n’apparaît sur aucun album officiel. D’autres, comme Freakshow ou The Only One seront en revanche bien de la partie.

Paris Bercy affichait complet bien évidemment. La capitale française a d’ailleurs toujours une date particulière pour le groupe et souvent le public est gâté. Ce soir-là ce sont presque quatre heures de concert, sans doute le meilleur auquel nous avons pu assister, tant il y a avait de l’envie, de l’énergie et du plaisir. Malgré le manque de synthé dont les lignes sont reprises par Porl Thompson à la guitare, expérience assez étrange à l’écoute de Plainsong, nous sommes enchantés par ce moment. Le mix des époques est le plus complet possible, la quasi-totalité des albums est représentée, des perles comme How Beautiful You Are ou Three Imaginary Boys et surtout Jumping Some Else’s Train, combiné à Grinding Halt sont de la partie : un véritable plaisir. Et que dire à la fin du quatrième et dernier rappel de Faith, version longue, porteuse d’une telle émotion qu’on est dans l’incapacité d’en sortir, même plusieurs minutes après la dernière note.

C’est sans doute pour des moments pareil qu’on se rend à des concerts…

Festival BBK – Bilbao – 2012

Dernière tournée avant celle en cours, nous retrouvons Cure côté espagnol pour découvrir de nouvelles ambiances. Pas d’album en vue, mais la bande à Robert finira quand même par sortir un album concert, le Live Bestival, pour clôturer semble-t-il le contrat qui le lie à sa maison de disques… The Cure est donc devenu un groupe de scène qui ne s’encombre plus avec des albums. Cependant, quel groupe ! Les concerts se surpassent en intensité et la fanbase sait pertinemment qu’il y a au moins une trentaine de chansons dans les placards et qu’elles finiront tôt ou tard par sortir. Mais à cette époque-là, on était loin de penser qu’en 2016, on n’en aurait toujours pas vu la couleur.

À Bilbao pourtant, tout commence mal. Un problème technique empêche le groupe de commencer le set à l’heure. Pas de chance pour le groupe puisque quelques jours avant aux Eurockéennes de Belfort, il avait affronté des pluies torrentielles et l’orage. Mais nous assisterons ce jour-là à quelque chose d’exceptionnel, puisque Robert Smith himself viendra annoncer le problème au public. Il s’empare alors d’une guitare sèche et pour faire patienter l’audience se met à jouer Three Imaginary Boys, seul. Un moment magique qui sera suivi par Fire In Cairo et enfin par Boys Don’t Cry.

Finalement le problème est résolu et le groupe aura tout le temps pour faire plaisir à son public. La setlist est longue et regorge de chansons rares. C’est donc vers cela que s’orientent les Anglais : ressortir des pépites du chapeau par-ci, par-là. Au menu ce soir-là, Sleep When I’m Dead, Want et Bananafishbones, mais aussi les excellentes Dressing Up, Just One Kiss et Doing The Unstuck. Et c’est ainsi qu’on attend avec impatience de recroiser le chemin de ce groupe incontournable. Il nous tarde de savoir si des inédits nous seront proposés ou si nous aurons droit à une chanson qui n’est jamais jouée habituellement.

Voilà ce qu’est devenu The Cure aujourd’hui : un groupe de scène… Mais un vrai.

Crédit photo : Robert Smith à l’Accor Hotel Arena, 15 novembre 2016 par Mauro Melis, avec son aimable autorisation

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