Le film

De la même façon que La forteresse cachée est connu pour avoir inspiré George Lucas dans l’écriture de La guerre des étoiles, Yojimbo est le film à l’origine de la Trilogie du Dollar de Sergio Leone et dont Pour une poignée de dollars est le remake non officiel. En revoyant le film de Kurosawa, on ne peut qu’être frappé par la reprise à l’identique de personnages, situations, sous intrigues, voire de lignes complètes de dialogues dans le film de Leone. C’est dire l’extraordinaire capacité de divertissement de Kurosawa (souvent considéré pour ses adaptations shakespeariennes dans le Japon féodal), et de l’universalité de son cinéma.

A la faveur de Yojimbo, il rompait avec une mythologie du samouraï aux valeurs pures et nobles. Sanjuro, samouraï sans maître ni emploi tranche effectivement avec l’image chevaleresque traditionnelle véhiculée par sa fonction et les valeurs de loyauté et d’effort que l’on retrouvait notamment chez les Sept Samouraïs (aussi remaké, officiellement celui-là, par John Sturges avec les Sept Mercenaires). A contrario, le personnage magistralement interprété par Toshiro Mifune est fourbe, déloyal, perfide et vénal. À cette caractérisation peu glorieuse, Kurosawa adopte une mise en scène ad’hoc : dès le générique, l’indécision du personnage est signifiée par un gros plan de l’arrière de sa tête, dont les mouvements sont suivis par la caméra qui nous indique ses conflits intérieurs. Nous sommes loin de la mise en images traditionnelle d’un héros positif.

Toute la mise en scène de Kurosawa va ensuite s’articuler autour de la position de Sanjuro dans le conflit qui oppose les familles d’un village de commerçants. Son arrivée et sa déambulation dans la rue est magnifiquement traduite par des travellings droite/gauche, et des déplacements dans le champ qui trahissent, par la seule force de la mise en scène, l’indécision du personnage à s’impliquer pour un camp ou pour l’autre. Sa neutralité dans la querelle entre villageois se manifeste ensuite par sa situation systématiquement centrale d’observateur amusé et curieux : dans la petite échoppe où il bénéficie d’une vue panoramique des agissements de chacun ou surélevé, comme un arbitre de chaise dans un match de tennis lorsqu’il rit du caractère pleutre des affrontements des deux clans. Le ton est à l’humour : il faut voir les mines déconfites des membres de chaque clan avant de donner l’assaut de leurs rivaux ! Le film prend alors des allures de comédie muette où les expressions corporelles et des visages se passent de mots pour décrire le ridicule de la situation. La musique vient d’ailleurs appuyer davantage la pantalonnade, le burlesque de la situation. Sanjuro agit alors uniquement comme un agent accélérateur, il évite prudemment de prendre part au conflit jusqu’à ce que ses valeurs lui ordonnent de sauver une femme prisonnière et son fils. Ce sera d’ailleurs ce geste généreux et héroïque qui va le perdre et précipiter l’action. Yojimbo subit alors une correction de la part du camp trahi par son intervention et il peut renaître dans un réflexe d’orgueil pour mettre un terme à la lutte intestine à laquelle se vouaient les familles rivales.

Le personnage de Sanjuro sera à l’origine de nombreux avatars dans moult westerns spaghetti : il annonce entre-autres le cow-boy solitaire interprété par Clint Eastwood dans les films de Leone ou le Django de Corbucci, interprété par Franco Nero.

Le Blu-Ray

Yojimbo est édité par Wild Side dans la collection Kurosawa – Les années Toho, où chaque titre consiste en un combo blu-ray/dvd contenu dans un luxueux coffret complété par un livret de 60 pages et qui sera suivi au premier semestre 2017 par sept nouveaux titres dont La forteresse cachée, Le château de l’araignée, Dode’s Kaden, Barberousse… Les films sortent simultanément en salles grâce à Carlotta, distributeur du grand écran.

L’écriture du livre consacré à Yojimbo a été confiée à Christophe Champclaux, historien du cinéma, directeur de la collection Ciné Vintage, spécialiste du cinéma asiatique et de la représentation des arts martiaux au cinéma. L’auteur se montre en effet très pointu dans l’évocation de Yoshio Sugino, le maître d’armes ayant collaboré avec Kurosawa sur le film et dont Toshiro Mifune sera le disciple longtemps encore après le tournage du film. Il revient également sur l’influence que le film a exercé sur Sergio Leone et l’héritage du personnage de Sanjuro dans le western spaghetti en général. Plus méconnu, Christophe Champclaux situe le film dans une référence au roman noir américain et à deux oeuvres de Dashiell Hammet, La moisson Rouge et La cité de verre, que Kurosawa a lui-même revendiquée s’agissant du premier.

Dans un entretien de trente-deux Minutes, Charles Tesson analyse très pertinemment le film d’un point de vue politique et du passage de l’ère Edo, celle du Shogunat, à l’ère Meiji, celle de l’industrie et du commerce, dont la lutte est dans le film incarnée par les marchands de soie et de saké. Il fait le lien avec deux films contemporains de Kurosawa, Les salauds dorment en paix et Entre le ciel et l’enfer qui encadrent chronologiquement dans sa filmographie Yojimbo et sa suite Sanjuro, et qui traitent de la corruption dans le monde industriel du Japon moderne.

Yojimbo, superbement photographié par Kazuo Miyagawa – qui ne tournera plus avec Kurosawa, car il était en contrat d’exclusivité avec le studio concurrent, la Daiei – est présenté ici dans une copie restaurée absolument somptueuse qui permet d’apprécier la science de la composition du cadre et de la lumière, à la fois s’agissant des gros plans sur les visages, dans les scènes de claustrophobie en intérieur et les plans larges dans le village.

Note: ★★★★★

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