Avec Ava, Léa Mysius filme le parcours initiatique d’une jeune fille atteinte d’une maladie dégénérative et réussit un premier film d’une beauté foudroyante bien qu’inaccompli. 

Ava a 13 ans.

Alors qu’elle est en vacances avec sa mère au bord de l’océan, elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie dégénérative, la rétinite pigmentaire, et qu’elle va bientôt perdre la vue.

Dans le même temps, elle rencontre Juan, un jeune homme marginal et énigmatique dont elle vole le chien ainsi que Mathias, le fils du prof de char à voile.

Le film est très beau dans ce qu’il propose : la confrontation des sens dans leur perte et leur éveil.

Ava est une jeune adolescente qui prend petit à petit la mesure de son corps, de son rapport à la sexualité et à la nudité. Elle est dans cette phase où elle passe d’une certaine forme de distance avec les choses du corps à quelque chose d’intime, de profond et de vibrant.

L’annonce, comme un couperet, de sa cécité prochaine, l’oblige à accélérer le temps et à vivre en un été ce que d’autres jeunes filles du même âge laissent s’éveiller pendant plusieurs années jusqu’à les accomplir.

Son désir d’émancipation devient alors plus fort que tout.

C’est cette course folle que met en scène Léa Mysius au plus près de son héroïne, Noée Abita, la grande révélation du film, figure indestructible de l’invincibilité de la jeunesse.

La jeune actrice de 17 ans, dont c’est le premier rôle au cinéma, habite littéralement son personnage avec une fougue, une énergie et un magnétisme dévastateur mais aussi beaucoup de mélancolie et de mystère.

Depuis Adèle Exarchopoulos dans La Vie d’Adèle, nous n’avions pas fait une aussi belle rencontre dans le jeune cinéma français.

Noée Abita capte littéralement la lumière et ce paradoxe entre le noir annoncé, motif très présent dans le film, et le côté solaire de la jeune actrice, est profondément émouvant.

Le film est construit en deux grands segments. Le premier, d’une réussite totale, concerne l’apprentissage accélérée d’une relation amoureuse et la découverte de l’intimité.

Le second, plus sociétal, et moins abouti, évoque la difficulté à s’accomplir dans la différence et la mixité et met en abyme l’obscurcissement d’un monde au relents populistes et extrémistes.

Léa Mysius rappelle d’ailleurs que lors des dernières élections présidentielles, la pointe du Médoc, qui situe l’action du film, votait à 30% pour le Front National.

La réalisatrice a voulu plonger son histoire dans ce contexte ultra contemporain pour faire d’Ava un personnage profondément inscrit dans le monde d’aujourd’hui et le rendre universel.

Si Léa Mysius, élève de la FEMIS, vient de l’écriture et du scénario (elle a d’ailleurs co-scénarisé Les fantômes d’Ismaël, le dernier film d’Arnaud Desplechin), elle impressionne par sa maîtrise de l’image filmée en 35mm, notamment dans la première partie du film.

L’ouverture est de ce point de vue remarquable.

Elle filme une plage bondée, aux couleurs scintillantes et aux scories sonores saturées. Cette abondance de vie se trouve perturbée par l’apparition d’un chien noir que personne ne semble remarquer mais qui cherche quelque chose.

Comme un oiseau de mauvais augure traque sa victime pour lui jeter un sort. Ava sera l’élue et le chien, le véhicule de sa transformation, comme une incision dans ce décorum de vacances.

Il y a quelque chose de menaçant et d’onirique dans la gestion des contrastes de la scène et une tension permanente qui ne quittera jamais le film.

Le film se ponctue d’ailleurs régulièrement des projections mentales fascinantes de son héroïne, filmées comme des rêves ou des cauchemars, tantôt oniriques, parfois horrifiques, toujours poétiques.

Léa Mysius réussit aussi très bien à capter la nudité, et ce de manière très frontale. Elle filme les corps avec une distance toujours très juste et reste systématiquement sur le fil d’une sensualité très vivante.

La réalisatrice s’autorise même des scènes de pure contemplation de cette nudité adolescente d’une beauté stupéfiante.

On regrette la seconde partie du film, où Ava et Juan, rappelant Les Combattants de Thomas Cailley, élabore un plan de fuite vers des horizons de contrebande sentimentale.

Moins énigmatique, plus classique, plus explicatif, percé de quelques clichés sur les gens du voyage, il fait perdre au film sa force mystérieuse et magnétique.

Le film reste néanmoins une vraie découverte et ouvre une brèche très personnelle dans le traitement de la tragédie teen, après le sublime choc offert par Julia Ducournau cette année avec Grave.

Il est surtout la révélation d’une actrice, Noée Abita, qui emporte tout sur son passage.

Note: ★★★☆☆

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