DJ-Shadow-Nicolas-Joubard

Si la soirée d’ouverture à la Nouvelle Vague de St Malo a été chaude et attentionnée, la première au Fort St Père s’annonçait en revanche beaucoup plus chargée en énergie et en passion. En réalité elle a été longuement furieuse pour notre plus grand plaisir. C’était à prévoir, l’affiche était claire et transparente, le garage rock allait avoir la belle part cette année et ça commençait dès le premier soir au Fort.

La vie est surprenante. Nous voilà devant la grande scène en train de sauter comme des fous sous les coups des cordes des guitares, des basses et surtout des caissons de batteries. Nous, qui la veille tombions sous le charme inattendu de ballades folk. Nous, qui pensions que les années passant, la volupté des mélodies, la construction des ensembles et la sincérité de la prestation, devaient représenter le summum de la musique au sens large.

Nous voilà bien malins devant cette musique garage de retour en force à la Route du Rock. Mais c’était sans compter sur toute l’ingéniosité de ces groupes, de leurs sens de la scène, de leur enthousiasme et surtout de notre propre volonté de prendre du plaisir.

Avant que la folie s’empare du Fort, il nous a fallu attendre un peu, nous habituer aux nouvelles règles du site (Cashless) et faire avec quelques petits problèmes de bracelets qui nous ont valu de manquer les prestations de Froth et de Foxygen. Malgré tout, la Route du Rock a passé le cap du cashless sans trop de difficultés apparentes et le Fort s’est rempli petit à petit, jusqu’au premier concert de poids de la journée.

La première tête d’affiche se présente tôt, l’heure où le soleil se couche doucement sur la Grande scène, l’heure où il fait bon vivre. Tous s’étaient donné le mot, le Fort est bien rempli ! Le festival avait d’ailleurs largement fait la publicité : « N’arrivez pas trop tard », et le public a bien entendu le message, lui qui s’est principalement déplacé pour ce concert, celui de PJ Harvey.

L’une des icônes de la scène musicale rock de ces vingt dernières années était de retour après une longue attente depuis son dernier passage en 1998, au moment même où elle bousculait tout sur son passage. L’aura est restée intacte malgré l’évolution des modes et des tendances, PJ Harvey reste aujourd’hui une grande figure, de celle qui produit encore des albums de qualité et qui ne vit pas sur une renommée.

Tournant toujours avec son dernier album, The Hope Six Demolition Project, sorti en avril 2016, elle sera une transition parfaite entre la soirée de la veille et celle qui nous attend. En effet, son dernier opus, tout en étant de qualité, n’est pas des plus engagés et reste plutôt calme dans l’ensemble. En revanche, la prestation sera en tout point identique au reste de la tournée, tant du point de vue de la setlist, que de la mise en scène. Il n’y avait donc aucune place à l’improvisation, à l’imprévu, à l’inattendu. Il n’y avait ainsi rien de nouveau sous le soleil, de quoi laisser perplexe ceux qui avaient déjà croisé la route de l’Anglaise.

Alors oui, PJ Harvey a donné un excellent concert qui aura ravi ceux qui la voyaient pour la première fois. Les autres se sont contentés de la redite sans en tirer plus de plaisir que cela. Mais revoir un bon film reste agréable.

Après une petite pause rafraîchissante, le festival passe en mode rock. Déjà programmé par le festival collection hiver en 2016, le groupe du prolixe Will Toledo s’attaque cette fois à la cour des grands en succédant à la Reine de la soirée. Tâche ardue, mais qui n’impressionne pas tellement les Américains. Avec une prestation honorable et de bonne facture, Car Seat Headrest trouve sa place dans le festival sans pour autant émerveiller ni surprendre. S’il n’y a rien à reprocher, il n’y a pas grand-chose à dire non plus tant le groupe reste assez classique aussi bien musicalement que scéniquement. Un concert agréable et bien maîtrisé qui nous mène tout droit vers les hautes sphères.

C’est le moment où la soirée bascule pour la première fois. Elle dérive dans un monde inconnu, où la chaleur s’explique par une activité intense et non retenue. Il est peuplé de personnes prêtes à en découdre au moindre mouvement fébrile et répétitif sur une corde quel que soit le son qui en sort. C’est le joli monde du garage rock, un monde plus complexe et réfléchi qu’il n’y paraît.

Pour lancer le mouvement et préparer un joli fauteuil aux très attendus Thee Oh Sees, c’est le jeune groupe anglais Idles qui s’empare de la scène des Remparts clairement faite pour eux.

En effet, tous se sont spontanément regroupés au centre de la scène devant la batterie, alors même que la scène présente suffisamment de place pour accueillir confortablement les cinq musiciens tous plus fous les uns que les autres. Mention spéciale au bassiste, un jeune homme chauve avec une longue barbe rousse, littéralement vissé au sol et hochant la tête de telle manière qu’il ne dénoterait pas sur un champ de bataille du côté des Vikings. C’est sans parler des guitaristes et du chanteur qui ne tiennent pas en place et sont à la limite de recevoir un coup de guitare du comparse et de se faire mal.

Ces joyeux gaillards venaient présenter leur tout premier album, le bien nommé Brutalism un excellent cru de l’année 2017. Il ne leur aura pas fallu longtemps pour allumer la mèche et faire sauter les premiers rangs d’un public déjà tout excité. Leurs titres phares Mother, Well Done, mais Stendhal Syndrome feront plus que le travail puisque les Anglais de Idles produiront sans aucun doute l’un des meilleurs concert de l’édition et sera même dans le top 3 pour les amateurs du style.

Il ne pouvait y avoir de meilleur lancement pour l’autre groupe de la soirée, Thee Oh Sees, « Le meilleur groupe de tous les temps », selon le chanteur des Idles.

Le temps de se rendre sur la grande scène, nous pouvons mesurer que le public est toujours présent et n’était pas simplement là pour PJ Harvey. Au centre de la scène, nous pouvons voir la présence de deux grosses batteries côte à côte, de quoi faire saliver les amateurs. L’arrivée sur scène de l’atypique John Dwyer ne tarde pas et le concert est lancé dans un rythme effréné qui ne diminuera pas tout du long du set. On a de la peine pour les batteurs qui tambourineront sans cesse ! Le show est intense sans interruption et surtout – et il faut le souligner -, le son est parfaitement maîtrisé, une vrai réussite, ce qui rend le concert d’une qualité irréprochable.

John Dwyer avec sa voix si particulière s‘en donne à cœur joie. Il échange quelques mots régulièrement avec le public. Les titres-phare sont de la partie et souvent joués en accéléré pour un effet plus dynamique encore. Les amateurs du genre seront ravis de la montée encore en gamme par rapport au précédent des Idles et les novices auront assisté à quelque chose d’assez unique et palpitant.

Suite à ces deux concerts de haute volée, la soirée va basculer pour la deuxième fois, cette fois-ci dans un univers plus obscur et plus froid. Place à l’electro proche de la techno avec Helena Hauff. L’Allemande plus habituée à la production s’est lancée cette année dans un album solo entièrement réalisé avec du matériel vintage. Sur scène, elle se présente seule derrière ses platines, où elle place régulièrement des vinyles montrant ainsi sa performance au public. Avec des notes très cold wave, Helena Hauff produit un show très minimaliste sans réelle mise en scène. L’atmosphère s’en ressent immédiatement, le son est fort et lourd, c’est hypnotisant. Le public est subjugué par la jeune femme dont on devine les contours à la faveur des jeux de lumière. Mais si la qualité intrinsèque de sa musique est indéniable, le concert tire un peu en longueur au moment où le public commence à ressentir de la fatigue. Une fois n’est pas coutume, Helena Hauff aurait sans doute gagné à faire plus court. Il faut dire que le froid ambiant à cette heure-là de la soirée n’a sûrement pas aidé.

Mais Helena Hauff a fait ce qu’il fallait pour permettre à une autre tête d’affiche de monter sur scène, quinze ans après son dernier passage dans le festival. DJ Shadow revient en terre conquise alors qu’on sait que le festival à déjà essayé plusieurs fois de le faire revenir. En démarrage de son concert, l’Américain indique d’ailleurs au public qu’il est très content de revenir en terre bretonne.

La mise en scène est simple mais plaisante. Campé derrière ses platines, DJ Shadow a mis en place un fond visuel derrière lui qui permet de rendre plus vivant la prestation. Mais même sans cela, la qualité de ses productions aurait suffi à séduire le public. Porté par la présentation de son nouvel album dont l’excellent single Nobody Speak est à lui seul une raison d’aller le voir jouer en live, mais aussi par l’anniversaire de la sortie de son premier album Endtroducing, véritable chef-d’œuvre et fer de lance de la musique électronique il y a maintenant vingt ans, DJ Shadow livre une prestation de haute volée.

Avec une première partie beaucoup plus hip hop et proche de ses racines, DJ Shadow distille ses meilleurs morceaux et s’amuse à faire languir un public qui n’attendait plus que lui. Il ne fera pas la même erreur que Helena Hauff en ne proposant qu’une toute petite heure de concert mais rien ne sera laissé de côté. On reconnaîtra la voix de Thom Yorke, qui a collaboré par la passé avec DJ Shadow et UNKLE, mais aussi les pépites de Endtroducing disséminées par-ci par-là, au gré des humeurs de l’artiste.

La première soirée au fort s’achève donc sur la note la plus magistrale de la soirée, une petite longueur devant les fureurs Thee Oh Sees et Idles. Le retour des anciens et la vivacité des nouveaux ont fait de cette seconde soirée une belle exception. Vivement la suite !

Note: ★★★★½



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