Après un enthousiasme d’enfant qui nous avait poussé à bien des complaisances face à un épisode VII en deçà de tout ce que l’on pouvait en attendre, après la douche froide d’un Rogue One catastrophique mais heureusement si anodin qu’il est déjà oublié, c’est avec un œil bienveillant mais peu disposé à quelque duperie que nous attendions ce huitième – et non plus pénultième – épisode de la saga Star Wars.

Fanfare et tambour (si John Williams l’avait osé), c’est une bataille spatiale gonflée aux CGI qui ouvre le bal. La mise en scène témoigne d’un art de la chorégraphie certain et assuré, mais la valse n’endort pas, nous attendons la chair. Et c’est par la relation entre Rey et Luke qu’elle prétend s’offrir dans un premier temps, mais Dieu quel échec ! Resucée maladroite de l’apprentissage du second auprès de Yoda sur Dagobah, elle ne nous épargne aucun poncif (On sait, la force n’est pas qu’un outil permettant de bouger des cailloux…) et tente, dans son malaise, de faire passer ses enjeux par un peu d’humour (du genre lourdeau qui ratisse en boîte à quatre heures du mat’). De leur côté, nos autres héros n’ont pour toute mission que de déplacer leur convoi spatial d’un point A à un point B sans essuyer trop de pertes et l’on doit alors se rendre à l’évidence : l’arc narratif de cet épisode de transition s’annonce profondément creux.

Un ventre mou projette peu à peu sa grise noirceur sur l’heure qui suit l’introduction et nous vient alors à l’esprit que 2h32 pour raconter si peu n’a pas plus d’allure qu’une écuelle de confiture offerte aux vils cochons Disney. Et pourtant, nous sentons une vergence dans la force, qu’un faisceau d’indices discrets nous serine doucement : l’intelligente amitié d’Holdo et Organa, Rose, cette sœur moins jolie et moins héroïque amenée à porter un destin, Finn qui parvient enfin à vivre sans Rey, Poe, dont le comportement bravache paie toujours mais qui apprend à gagner mieux ; tant de storylines liées par un point commun rarement observé dans les récentes production du genre, un brin de subtilité (qui revêtirait presque aujourd’hui le caractère de l’audace).

Si c’est sous ce spectre que l’aventure s’avère initialement la plus plaisante, son cœur tardif, lorsqu’il éclot, ravit plus encore et achève d’emporter une adhésion que nous voudrons à présent totale. L’ennui qui nous a dupé la première heure accouche du dessein de Johnson, celui de construire une œuvre ne se voulant plus uniquement réduite à des questions d’Eros et de Thanatos familiales (le plus souvent balayées, comme passages obligés d’un blockbuster s’exigeant tout de même comme tel – avec également son lot de Pokemon visant à faire acheter des peluches aux gosses se contentant enfin de prendre une place raisonnable -), mais portant un thème qui lui sera plus personnel, celui de l’héroïsme, de ses enjeux et de sa signification. À ce titre, la révélation des origines de Rey et l’élimination expéditive du personnage central le moins ambigu de la trilogie se montreront-elles peut-être les plus savoureuses, dépassant intellectuellement les grisantes réjouissances de quelques combats de haut vol – dans une salle à l’esthétique neondemoniénne ou sur une Hoth de sel et de sable rouge – et épousant pleinement les ambivalences et les désillusions de personnages dont le caractère osera enfin et ouvertement se montrer déceptif (Kylo Ren en tête, que nous aimons enfin et pour de bon).

À l’image des compositions de John Williams se voulant aujourd’hui efficaces et plus ramassées, cet épisode VIII dirigé par Rian Johnson enchante en cela qu’il a trouvé sa direction, son fil, qu’ils semblent les bons et qu’il s’y tient. Malgré quelques redites un peu lassantes, malgré une résurrection douteuse et un fantôme un peu malvenu, Les derniers Jedi s’avère une réelle réussite dont la résonance entre la forme et le fond (allumer une nouvelle étincelle chez les petits et les grands rebelles) achève de convaincre. Loin d’un épisode VII qui n’osait rien ou d’un Rogue One qui ne misait que sur un peu d’esbroufe visuelle, il est un épisode qui fera peser un sérieux héritage sur sa conclusion à venir et que nous attendons désormais. Plus encore, cet épisode VIII est digne de ses racines et de son souhait, la saga Star Wars brille à nouveau dans la nuit.

Note: ★★★★☆

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