Comme tout assassin, Jusqu’à la garde est un film froid, qui conserve la maîtrise de son dessein, implacable jusqu’à la foi. Dominatrice et rigoureuse, son ouverture expose le discours de chaque camp, un crapaud et une grenouille d’un côté, deux anges blessés de l’autre, pour un effet de halo dont nous, spectateurs, devrons juger s’il est traître. Passé le temps de la parole publique, les ternes lumière de la ville nous sortent de l’office de la juge et nous voici faits enquêteurs, voisins indélicats observant l’interdit familial par l’interstice d’une porte privée.

Ce sont un père et une mère qui s’affrontent et de leurs joutes devront naître des indices que nous collecterons, patiemment et le souffle interdit par un voyeurisme qui taira toujours son nom. Ici, une mère ment, manipule ses enfants, refuse les décisions de justice, cache un amant. Là, un père ne renonce à être victime que dans quelques coups portés dans des sièges, une exigence de vérité au ton brutal et finit systématiquement par se révéler doux et conciliant. Plus les faits sèment leur faisceau de preuves, plus la vérité de ce père juste, mais meurtri par une femme à la paranoïa froide, se dresse.

Toute l’intelligence du film est ici, qui réside à s’effacer pour mieux exiger la notre et nous contraindre à exercer notre analyse sans effets ni esbroufes cinématographiques parasites. Toute sa bêtise est dans sa fin, interdisant dans le feu et l’acier tout exercice définitif de la pensée, pour la substituer aux conclusions néoféministes les plus insanes. Générique silencieux pour tout tribunal où se voit gravé l’idée qu’un homme ne peut poursuivre une quête de droiture que pour justifier ses névroses et sa bestialité, lorsqu’une femme ne se montre jamais vile que pour s’en prémunir. La messe est dite et la réconciliation impossible.

En ces temps troublés où les prolétaires sont amenés à se jeter les uns sur les autres et à dévorer leurs propres entrailles pour mieux éviter la tendre viande de ceux qui les y réduisent (jeunes contre vieux, noirs contre blancs, athées contre musulmans, hétéros contre les autres, hommes contre et plus jamais tout contre les femmes), une telle conclusion s’avère difficilement pardonnable. L’absolue réussite formelle de Xavier Legrand et de son métrage – s’inscrivant dans la droite lignée des plus grands Dardenne – ne peut trahir qu’un esprit brillant. Et s’il luit, attendions-nous alors de lui quelques lumières ; que de cette ambiance de plomb d’où rien ne respire la pression se lève peu à peu, l’homme admettant son comportement brutal, la femme admettant ses actes perfides et qu’à la manière des plus beaux divorces, un peu d’amitié et de tendresse parviennent délicatement à renaître in fine. Mais si la vie et la mort ne sont pour la plupart que les deux mouvements d’un cycle éternellement renouvelé, certains semblent hélas prôner la sordide victoire de l’un sur l’autre. Toutes victimes, tous coupables ? Tout.e.s perdant.e.s, surtout ; verdict et sentence.

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