James Bond Girl

Après Dans la Maison, le réalisateur très prolifique François Ozon livre un nouveau film sur la découverte de soi et de l’inconnu à travers son propre regard et celui de la jeunesse.

Le film démarre sous les traits de l’histoire banale d’une jeune fille aisée et de ses premières découvertes sexuelles de vacances. C’est sans s’y attendre que le film bascule soudainement lorsque l’on voit notre héroïne entrer dans une chambre d’hôtel, chez son premier client en tant que prostituée. Mais Isabelle ne se prostitue pas pour l’argent, elle n’en a pas besoin. La force du scénario réside dans le fait que celui-ci permet à l’héroïne de garder secrètement les raisons qui la poussent à agir ainsi. Il n’y a pas de point de rupture évident avant et après la prostitution. Et c’est ce mystère qui parcourt une bonne partie du film et qui crée, de par l’incompréhension du spectateur, l’impression de malaise et de conflit intérieur propre à l’adolescence.
La deuxième partie du film (certainement la plus réussie) décrit précisément le quotidien partagé de la fille entre ses rendez-vous secrets, l’école et sa famille : l’équilibre instable d’une double vie improvisée. Comme elle, on ne sait pas bien pourquoi, ni comment tout à commencé, mais on ressent pleinement son besoin viscéral de continuer ce qu’elle a commencé jusqu’au bout sans avoir besoin de raison. Isabelle ne cherche pas à arrêter car c’est pour elle « une expérience ». Et les quelques accrocs survenus ne l’empêchent pas de continuer, au contraire. Le danger attise son envie de pousser le jeu le plus loin possible. Seul un des clients nous avertit de l’engrenage dans lequel notre personnage s’est engouffré : « Pute un jour, pute toujours !».

Le maniérisme – un peu machinal – d’Ozon trouve ici sa raison d’être : c’est le désir inconscient d’être regardée, même épiée, que ce soit par un proche comme son frère, par son psy, ou par ses clients que donne à apprécier l’image piquée, les poses suggestives des corps dans le cadre et les légers travellings avant rythmant le film et lui donnant son aspect léché.
Aussi, la vision subjective que forment les jumelles pour ouvrir le film annonce le thème du voyeur que le film déploie, peut-être trop peu. Une position délicate du spectateur qui se voit entrain de regarder d’emblée l’objet du désir (position quelque part désirée par la silhouette étendue sur la plage). De plus, cet effet évoque le genre thriller, là où l’agent Bond scruterait sa future girl. Mais James se trouve ici être le jeune frère de l’héroïne. On comprend d’autant plus pourquoi le réalisateur choisit une mannequin pour interpréter lsabelle : une actrice (Marine Vacth) qui sait se mettre en valeur tout en feignant de lire un livre allongée sur la plage. Cette mise en valeur du corps de la jeunesse transmet au film l’intensité et la douceur dont le personnage féminin se pare tout le long.

Le code principal du thriller est respecté : quelqu’un meurt et dans un sens, par la faute d’Isabelle. C’est la police qui prévient les parents : la dernière partie du film démarre alors. La subjectivité du point de vue s’efface peu à peu pour laisser place à la peur du danger qu’elle court, créé par l’inquiétude de sa famille. La mère dépassée par les événements prononcera : « Elle a le vice en elle ». Mais de quel vice parle-t-on si ce n’est autre que celui de la découverte du monde des adultes ? Ce même monde qui tente tant bien que mal de cacher ses propres vices (l’adultère) alors même qu’Internet offre directement aux plus jeunes un accès direct à l’infini des possibles fantasmes.

A travers l’histoire d’Isabelle, François Ozon dépeint moins une chronique de la prostitution chez les jeunes parisiennes qu’il ne pose la question de la mutation corporelle adolescente et donc de la découverte de soi, l’exploration des limites du corps, et donc de l’esprit.
Le film offre une liberté (fondamentale) au spectateur : celle de choisir les raisons qui poussent les personnages parmi celles proposées. Peut-être qu’Isabelle agit ainsi pour combler un manque d’affection paternel évident ? Peut-être même éprouve-t-elle le besoin de souffrir (s’offrir telle une James Bond girl ?) pour retrouver une valeur à l’argent qu’elle reçoit d’habitude sans effort ? La raison n’est jamais unique ni évidente. Beaucoup d’interprétations sont possibles mais jamais aucune certifiée parmi celles proposées. C’est cette richesse de l’inconnu qui créer l’authenticité de cette histoire.

Ce que le film ne dit pas mais garde ouverte, c’est la question de l’évolution du petit frère. Celui-là même qui a perçu le premier le changement de sa sœur, au travers des jumelles. Celui-ci sait tout de l’aventure de sa sœur, et, semble-t-il, a commencé à découvrir ce monde par lui même (son père l’aura surpris dans une scène furtive de masturbation devant son écran d’ordinateur).
Bien que ce ne soit pas le sujet central, on se réjouit que le film expose aussi l’uniformisation et la dépersonnalisation de l’éducation, notamment celle d’Internet. Les parents n’ont plus la main mise sur l’évolution de leurs enfants ; ce n’est finalement pas la répression des nouveaux moyens de communications, mais le suivi proche et compréhensif de leurs parcours qui se révèle salvateur.

Jeune et Jolie, de François Ozon – Sortie le 21 août 2013

Note: ★★★½☆

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