Drame rigolo

Quoi de plus réconfortant en temps de crise qu’une bonne farce sur fond d’injustice ? Quatre ans passés depuis la dernière fois et c’est avec plaisir qu’on grimpe dans les nouvelles montagnes russes d’Albert Dupontel. Démarrage en trombe, tournoyant au milieu de magistrats ivres et grotesques qui fêtent le reveillon devant une statue de la justice affublée, pour l’occasion, d’un chapeau pointu. Après avoir rampé entre ces silhouettes grimaçantes, la caméra s’élève dans les hauteurs du palais pour rejoindre l’isolement d’une juge pincée et peu commode – Sandrine Kiberlain – qui travaille encore dans son bureau. Forcée par ses collègues aux regard attardés et aux mimiques diformes – évoquant le loup de Tex Avery – à se joindre à l’ambiance générale, Arianne choisit de boire – beaucoup –, pour se conformer à ces rites sociaux qu’elle méprise tant.

Rares sont les réalisateurs dont l’oeuvre est aussi facile à reconnaitre, tant Dupontel cumule à son actif un style formel signé et une récurrence record des thêmes traités et des acteurs employés. C’est donc d’autant plus frappant, dès ce premier plan-séquence rappelant le générique du Créateur, d’assister à un changement majeur vis-à-vis des précédents opus. Dans 9 mois ferme, pour la première fois, la folie barbare et farcesque que Dupontel developpe de film en film pour dépeindre la violence sociale, n’èmane pas du (des) héros, mais au contraire de tous ceux qui les entourent.

C’est donc harcelée par ces clowns glauques qu’Ariane entre de force dans cette fable qui va l’unir à Bob Nolan, un cambrioleur simplet que tout sépare de la juge, Bob incarné par un Dupontel toujours burlesque, mais bien plus sobre que ses avatars précédents (quoi que puisse présager un nom aussi amusant). Elle ne s’en rend compte que trop tard, mais sa nuit d’ivresse du nouvel an l’a conduite à tomber enceinte de Bob, accusé entre temps à tort d’avoir mutilé et dévoré les deux yeux d’un vieil homme l’ayant pris sur le fait de son larcin.

S’il parait « taré débile » aux yeux d’Ariane, Bob n’est pas pour autant membre de la secte d’où semblent recrachées toutes les figures secondaires du film – dont la plupart portent des noms rimant avec « connard », ce qui permet au cambrioleur de bien les identifier. Après avoir multiplié les personnages mendiants, meurtiers, pervers ou misanthropes, Dupontel plonge cette fois ses spectateurs dans un monde peuplé de faces hilares, d’incompétents dithyrambiques aux commandes d’un système judiciaire vicié qu’ils délaissent au profit de la moindre gaudriole. Dans9 mois ferme, tout relève d’une sinistre bonne humeur, injustifiée tant les héros piègés dans cette foire sont accablés par tous les malheurs que nécéssite un contrepoint réussi. Les premiers qui rient sont à l’écran et nous entrainent avec eux dans la danse, ne nous convertissant heureusement pas complètement à leur culte de la décontraction, le film n’échouant pas à mettre en relief de véritables failles de notre monde réel.

L’affaire Bob Nolan, relayée par tous les médias qui la nomment celle « du globophage », permet à Dupontel de prolonger son univers empreint de guignol, à des séquences de parodies télévisuelles, sorte de zapping du médiocre tendance raccolage criminel. Il est certain que son goût naturel pour la rebellion rend le tout parfois lourdingue, mais il est difficile de ne pas sucomber à un humour aussi sincère et rythmé, poussé jusqu’à l’extrème, surtout qu’il nous épagne jusqu’à la moindre prétention dans cette critique très entendue qu’il sous-tend.

C’est d’ailleurs presque impossible de s’arrêter sur le discours, le long d’une oeuvre aussi bondissante. De tous les films de son réalisateur, 9 mois ferme est peut-être le plus haletant dans la forme, multipliant les mouvements tordus, les plans décadrés, les effets de projection à travers des miroirs brisés ou des loupes de scientifiques ; le tout monté à un rythme alternant entre le sprint et la suspension – quelques plans, notamment un très long travelling circulaire autour des futur parents donnent une langueur suffisante à certains passages pour passer de la bouffonerie à la volupté.

Souvent comparé à Jeunet ou à Kounen – avec qui il copine et travaille de temps à autre – pour ce goût du virtuose technique et de l’expérience sensorielle, Dupontel se démarque par un véritable amour des personnages que ne possèderont jamais des collègues aussi facinés par leurs propres trouvailles visuelles. Certes, lorsqu’il apparait timidement sur scène pour répondre aux questions une fois le film fini, il nous parle surtout du maniement de sa caméra, évoquant l’influence logique des frères Cohen. Mais qu’importe : le résultat est là et il est évident que Dupontel projete avant tout son travail dans le domaine du conte – son talent d’origine étant certainement celui de nous raconter des histoires.

Paradoxalement, c’est aussi de cette douceur émanant des outsiders de héros, que vient la principale faiblesse de Neuf mois ferme. Qualifié par son auteur de « drame rigolo », le film doit certainement sa réussite à sa tendresse, mais c’est aussi à cause d’elle que les montagnes russes ne s’arrêtent jamais et qu’on en reste sur un mirage. A force de déclarer sa flamme à la machine à rêve du cinéma, Dupontel laisse ses personnages chéris dans la posture du spectateur. Autour d’eux se projettent toute la misère du monde, mais aussi le recul. Recul que leur offre une telle disposition qui leur permet, au final, de s’en écarter.

Ces deux – que tout devrait séparer – tentent de nous faire croire qu’il existe une porte de sortie à tout cela, comme à la fin d’une toile. C’est ce que fait Dupontel lui-même à l’écran, quand il essaie avec maladresse de raconter à Ariane une version de la sienne, d’histoire, où il serait innocent. Et même s’il l’est, le film se termine en suspension, cessant enfin de bouger dans tous les sens, mais pas comme un dénouement, au contraire, parce que Dupontel préfère nous libérer sur sa note la plus jolie. C’est dommage, c’est justement parce qu’il osait à l’époque aller jusqu’au bout, les pieds sur terre et dans la merde, que Bernie et Le créateur restent de bien plus grands exploits.

9 mois ferme, sortie le 16 octobre 2013

Note: ★★★☆☆

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