Réalisateur japonais prolifique, reconnu hélas tardivement en France, Sono Sion signe avec Why Don’t You Play in Hell ? son cinquième film en trois ans. Se vantant volontiers en interview de travailler sur quatre projets en même temps, il jongle habilement avec les genres, passant du drame adolescent (Himizu) au thriller sulfureux (Guilty of Romance), du film post-apocalyptique (The Land of Hope) au film d’horreur dérangeant (Cold Fish). Avec cette nouvelle œuvre, qu’il revendique lui-même comme un film d’action sous forme de déclaration d’amour au cinéma 35 mm, nous retrouvons avec plaisir son talent empreint d’une maîtrise qui n’est pas prête de s’évaporer.

Après la parenthèse de The Land of Hope, long métrage étonnamment sobre et sérieux aux allures de mélodrame, il se redirige vers son style dans les tons plus chaotiques, véritablement enragé, et surtout diablement punk ! Son passé aux idéaux activistes éventre l’écran et sublime ce désordre. Magma filmique où flash back inattendu, zooms excessifs et brutaux, humour décalé et ridiculement répétitif fusionnent et muent en une explosion visuelle qui enchante de par la jubilation qu’elle nous provoque. Il recouvre un dispositif de montage alterné, permettant de suivre divers personnages dont les destins s’entrecroisent au détour d’un plan ou d’une séquence providentielle. Ainsi l’histoire s’ouvre sur une publicité de dentifrice dont la chanson risible s’ancre dans nos têtes pour n’en ressortir que très difficilement. La petite vedette de cette chansonnette à la chorégraphie absurde, c’est Mitsuko (prénom étrangement récurrent dans la filmographie de Sion), fillette de 10 ans au visage angélique, mais au caractère bien trempée de par ses racines. Il s’agit de la fille de Muto, le grand chef Yakuza en guerre depuis toujours avec le clan Ikegami qui, cherchant à l’assassiner pénètre dans la demeure familiale. La femme de Muto, seule résidente présente les massacre de la pointe de son couteau de cuisine, allant jusqu’à les pourchasser dans la rue, récoltant de plus en plus de sang sur sa robe ternie. En parallèle, un groupe de cinéastes amateurs baptisé les « Fuck Bombers », déambule dans les rues équipé de caméras super 8, dans l’espoir de capter quelques images cinématographiquement exploitables. Entre un réalisateur un brin bordélique, mais animé par sa passion (version adolescente de Sono Sion, peut être ?), un jeune acteur recruté pour ses talents de bagarreur et destiné à être le Bruce Lee japonais, un pro du « travelling sur rail » ou plutôt « sur roller » et une experte de la caméra – tangente – à l’épaule, cette équipe représente à elle seule une caricature des étudiants qu’on pourrait croiser dans une école de cinéma. Stéréotypés certes, mais jamais méprisés, Sono Sion ne se poste jamais au-dessus de ses personnages et montre sans ironie leur quotidien, appelant davantage notre compassion que nos moqueries.

Dix ans plus tard, la fillette de la publicité (qu’on commence à connaître par cœur) a bien mûri et incarne la femme fatale violente et sexy (un baiser au verre langoureusement sanglant), les deux chefs Yakuzas qui avait expérimenté une trêve, semblent à nouveau se haïr et prêts à mélanger leurs hémoglobines, la femme de Muto va bientôt sortir de prison et les « Fuck Bombers » sont toujours coincés dans le vieux cinéma de quartier sans réussir à décoller, brillant uniquement grâce à leur imagination, leur enthousiasme et surtout leurs espérances. Évidemment, ces personnages que rien ne rassemble vont se retrouver, par un incroyable concours de circonstances qui n’est autre que la création d’un film.

C’est l’amour du cinéma qui prime, présenté comme un art collectif où chacun est utile, peut s’exprimer et trouver sa place. Le dernier combat en est d’ailleurs le parfait exemple. L’affrontement entre les deux clans est inévitable et sur l’idée de Muto, les jeunes cinéastes vont devoir filmer la scène fatale. D’un foutoir palpable, le sang gicle et s’étale sur les murs. Les coups de sabres (privilégiés aux pistolets) sont semblables à des coups de pinceaux. Ce rouge épais rappelle la nature picturale de l’image, matière malléable qui ne peut que nous transcender. On peut évoquer également la première séquence, lorsque le sol se confond avec le sang, c’est d’une poésie artistique indéfinissable. Revenons à notre bataille. Les combattants flanchent les uns après les autres comme des mannequins désarticulés à qui on aurait retiré un bras ou une jambe, la chair s’effrite, la cervelle se mélange à la petite cuillère, les personnages principaux s’effondrent sans se relever. Pourtant une lumière fuse dans ce massacre d’hémoglobine, c’est leur sourire commun. Affiché sur chacun de leurs visages, esquissés au creux de leurs lèvres. C’est un sacrifice unanime pour le film, pour le cinéma, pour le 7éme art. S’ils s’éteignent, c’est pour créer quelque chose de plus beau que leurs propres existences, qui restera ancré sur des pellicules jaunies qui défileront à jamais dans un cinéma de quartier. La mort serait une renaissance cinématographique. Et c’est en ce sens que Sono Sion signe un hommage décalé et débridé, mais magnifique au cinéma. On regrette cependant le côté bâclé de la deuxième partie de cette dernière séquence qui aurait mérité davantage de finition et qui rompt en quelque sorte avec la continuité du film, bordélique certes, mais d’une façon organisée.

De même qu’il jongle avec les genres, le réalisateur alterne avec finesse et raffinement, réalité et fiction. Où s’arrête la fiction, la réalité l’est-elle encore lorsqu’elle est captée par l’objectif, qui détient le cut final ? Nombreuses de ces questions sont abordées en sous texte. Le dernier plan de Why Don’t You Play in Hell ? en est sans doute le meilleur exemple. Autre réelle jouissance, ce long métrage se moque éperdument d’absolument tout : le numérique, l’industrie cinématographique d’aujourd’hui, les caméras 35 mm décrites comme horriblement lourdes, les publicités et la manipulation des images, l’amour obsessionnel de Ikegami, le kimono japonais. Sono Sion tourne tout en dérision sans jamais être moralisateur. On ressent sa rage, sa hargne, sa puissance, sa volonté de nous contaminer de ce sentiment frénétique qui nous saisit. Ce long métrage est une réussite à faire jubiler sur son siège. Il n’existe hélas aucune date de sortie en France et rien que pour cela, le téléchargement devrait être autorisé. Cut –

Note: ★★★½☆

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