Qui pourrait définir Eric Rohmer ? Qui aurait la prétention de posséder une définition exacte et authentique ? Et pourquoi maintenant ? Pourquoi ici ? Penser, c’est savoir. Raisonner, c’est faire preuve de sagesse. Ce n’est plus l’ignorance, mais l’orgueil qui nous pousserait à réduire ce réalisateur à une simple phrase, à un mot. Tant d’œuvres créées, tant de sujets sollicités, tant de questionnements soulevés ; les long-métrages de Rohmer sont tous semblables et différents.

Identiques à travers cette sublimation de la syntaxe, cette grammaire qui ne peut que susciter notre émerveillement.

Distincts de par l’abondance des thèmes traités et de la multitude des protagonistes peints.

Ce ne sont pas des situations que le réalisateur met en scène, mais un monde absolu dans son intégralité. Ainsi nous suivons l’évolution de personnages de classe plutôt bourgeoise lors de leurs quotidiens ou durant leurs vacances. L’enjeu pourra subséquemment découler autant de leurs mésaventures que de leurs pensées intérieures. La verbalisation des sentiments – on ressent clairement l’influence de Marivaux, de Mussé ou encore d’Honoré d’Urfé- transcende – bouleverse, enchante. Que ce soit un doute, une émotion, une crainte, un questionnement philosophique, une façon de penser, une idéologie de vie… Absolument chaque esquisse de pensée va trouver son vocabulaire et s’exhiber avec grâce et éloquence.

Rohmer nous envoûte aisément à grand coup de syllabes.

La construction de l’espace, la liberté des acteurs, leurs façons de parler, de se mouvoir, les sons environnants et les accroches de texte préservés constituent un souffle de vie. Car c’est bien de cela dont il est question : de l’ardeur inépuisable de la vie. Rohmer semble capturer des fractions d’existence et les sublime avec une image au grain charmeur (souvent du 16 mm) et des dialogues singuliers emplis d’élégance et de raffinement. On ne sort pas indemne d’un conte moral ou d’un proverbe, cela éveille en nous un certain raisonnement, une remise en question, un désir de comprendre, de confronter nos opinions à la conception évoquée dans le film. Les œuvres de Rohmer sont de véritables objets pensants et à penser. Le destin est délaissé pour privilégier le choix. Nous sommes tous maîtres de nos décisions, c’est à nous de prendre la direction que l’on souhaite, à nous de bifurquer à travers telle ou telle conscience, de s’embraser devant une réalité ou d’adopter un certain style de vie. Il en est de même pour les personnages Rohmériens, ainsi Gaspard (Conte D’été) va élire la musique comme amante alors qu’il a le choix entre trois femmes, Frédéric (l’Amour l’après-midi) va décider de rester avec son épouse et de tourner le dos à sa maîtresse nue l’attendant dans son studio, Claire (Le genou de Claire) va consciemment ignorer la tromperie de son homme. Tous –après de longues hésitations tumultueuses et la tentative de mettre les mots justes sur leurs réflexions – vont opter pour une direction qui affectera leur vie toute entière. Rohmer nous dévoile ces moments précieux, éphémères certes, mais si vitaux, si indispensables.

En 2013, sort un coffret rassemblant l’intégrale des œuvres d’Eric Rohmer. Pas moins de tente DVD, tous accompagnés de leur déclinaison Blu-Ray nous offrant une image restaurée en haute définition. Oui, les amateurs du 16 mm hurlent déjà au scandale. Mais le grain de l’image est bien évidemment préservé et les problèmes de son volontaires (une mobylette qui passe étouffant une réplique lors d’un dîner par exemple) sont également conservés. Un livret de 100 pages est intégré au coffret ainsi qu’une pochette surprise. Chacune des jaquettes est confectionnée par le dessinateur Nine Antico, en tirage limité et numéroté. Mais n’oublions pas les nombreux bonus : onze court-métrages (dont deux inédits), des entretiens avec les acteurs et les collaborateurs du cinéaste. Les premiers documentaires de Rohmer, des documents d’archives, des court-métrages réalisés par ses comédiens fétiches… Ce coffret est un véritable bijou à découvrir, à penser, à philosopher et surtout à savourer. Si vous êtes bon connaisseur de ce réalisateur exceptionnel, vous aurez l’occasion d’affiner votre savoir et de redécouvrir ses œuvres enchanteresses. En revanche, si le nom « d’Eric Rohmer » n’évoque rien, ce coffret sera une merveilleuse manière de découvrir un univers raffiné, charmeur, fantasque et envoûtant. Que vous soyez l’un ou l’autre – winter is coming – Noël approche !

Coffret Intégrale Eric Rohmer (dvd & blu-ray/ Potemkine)

Commandez sur le site de Potemkine

Note: ★★★★★

partager cet article