Après avoir fait rentrer un peu plus de lumière en 2011 avec Le Gamin au Vélo, les frères Dardenne continuent de suivre cette pente moins nihiliste que leur début de carrière, et signent un film en forme de quête, sélectionné en compétition du festival de Cannes 2014.

Marion Cotillard est Sandra, qui sort tout juste d’une dépression, et qui apprend qu’un vote entre une prime et son licenciement a été effectué avant son retour, et que ses collègues choisissent la prime, quitte à ce qu’elle se retrouve au chômage, avec les conséquences que cela entrainera pour sa vie de famille. Elle va alors aller les voir un par un, le temps d’un week-end, dans l’espoir qu’ils changent d’avis et qu’elle garde ainsi son travail.

Ce qui frappe, avant tout autre chose, c’est le dispositif, cette quête de « l’un après l’autre », nous donnant à chaque fois un regard sur des morceaux de vies, ouvrant des portes sur des enfants, des familles, et dont les préoccupations viennent en quelques phrases prononcées en réponse à Sandra, se surajouter au principal enjeu du film, et épaississent petit à petit l’impossible résolution du problème. Les Dardenne font parti des plus grand directeurs d’acteurs contemporains. Il faut voir comme chaque geste, chaque réponse menace de tout faire basculer, à mesure que le nombre de votants s’amenuisent et que Sandra perd espoir. Quand la porte s’ouvre, elle répète ces mots qui l’usent au fur et à mesure que le film avance, « Vous pouvez m’aider à pas perdre mon travail, si vous acceptez de perdre votre prime… ». Chaque rencontre est un basculement possible, un événement en soi, et le film se situe constamment sur cette tension, sur ces portes qui font face à l’héroïne, et qui réservent une bonne ou mauvaise nouvelle, une surprise, pour le spectateur comme pour le personnage.

Il ne faut pas longtemps pour oublier que Sandra, ouvrière dans une usine de panneaux solaire menacée par le chômage, n’est autre que la désormais star internationale Marion Cotillard. Cette drôle d’actrice qui nous avait parfois laissé de biens mauvais souvenirs, comme de prestations bouleversantes (The Immigrant récemment). Ici, dirigée par Jean Pierre et Luc Dardenne, elle semble maigre, fatiguée – le corps de l’actrice autant que le personnage interprété – il y a un vrai réalisme dans l’incarnation de la fatigue et de la dépression, sans que cela soit synonyme d’une « performance » à l’américaine qui ne ferait voir que l’effort de l’acteur, et non celui du personnage.

L’effort appartient bien à Sandra, et si les Dardenne filment autant les dos, c’est pour montrer l’effort, l’éreintement des personnages sur lesquels tout s’acharne. Et si la caméra semble parfois la traquer, lui refusant le repos, comme son mari interprété par Fabrizio Rongione, qui passe son temps à lui dire de continuer, de ne pas abandonner, c’est ce que fait la caméra, entre traque et soutient, entre rendu cru de la réalité et témoignage de l’effort effectué par un personnage.

Comme l’indique son titre, le film se déroule sur un temps relativement court. Temps qui ne laissera guère d’espace au personnage pour souffler, à l’image de ce plan ou après une scène mouvementée, on découvre Sandra dormant dans la voiture, mais pas deux secondes ne s’écoulent avant qu’elle se réveille en criant, d’un cauchemar dans lequel son fils se noyait.

Deux jours pendant lesquels Sandra parcourt des paysages périurbains faits de larges avenues, de ronds points, de terrains de foot et de banlieues toujours différentes. Le film donne aussi à voir une épreuve se déroulant en plein soleil, traversant des vies qui continuent, essayant tant bien que mal de créer des actes de bonté pure. Car si le cinéma des Frères Dardenne met en scène des individus pris dans des dispositifs sociaux les écrasant, ils ne se privent jamais d’en sortir par instants. Ici ils se dirigent vers ce qui serait de l’ordre du don, de l’empathie réelle d’un personnage envers un autre, au cœur d’impératifs économiques qui impliqueraient d’autres choix.

Ce geste que Sandra quémande, disant elle même qu’elle « fait chier tout le monde », elle sera en position de le rendre à la fin du film, et affichera un magnifique sourire de satisfaction. Comme celui qu’elle arborait après que le premier votant ait accepté de perdre sa prime, les quelques moments d’espoir et de joie montrés dans le film viennent de deux choses, du moment ou l’on aperçoit la fin du labeur, et du moment dans lequel on reprend espoir pour l’homme en général. Le sourire de Sandra n’est pas que le sien, il est également celui qu’elle offre en réponse à celui des autres; et comme les larmes, quand les sourires apparaissent à l’écran, ce sont des torches brandies vers ce qui est déjà éclairé mais peut s’éteindre à tout moment.

Si dans Deux jours, une nuit, l’émotion nous submerge de la première à la dernière phrase, du premier au dernier geste, c’est parce que non seulement les cinéastes croient en une certaine spontanéité de la bonté, mais qu’ils la filme comme l’oeuvre des personnages, et pas comme un choix arbitraire prononcé par le scénario ou la mise en scène.

Note: ★★★★★

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