The shape of pop to come

En près d’une décennie, Charlotte Emma Aitchison, a.k.a. Charli XCX, a connu plus de vies musicales que n’importe quelle autre icône pop de sa génération. Talent Made in Myspace chantant, en 2008, Dinosaur Sex à 17 ans, propulsée ensuite the next big popstar britannique en 2013 avec le brillant True Romance, elle a finalement pris un virage mainstream en 2015 avec une signature chez une Major – Atlantic Records – et la sortie de Sucker (accompagné des hits Boom Clap et Break The Rules). Entre temps, Charli XCX s’est créé une réputation de songwriter de qualité et de featuring de luxe – citons I Love It de Icona Pop et Fancy de Iggy Azalea.

Les planètes semblaient parfaitement s’aligner pour la chanteuse dont la carrière paraissait partie pour fonctionner en pilotage automatique. Pourtant, en 2016, Charli XCX a fait ce qui pourrait s’apparenter à un « coming out musical » avec la sortie de Vroom Vroom, EP expérimental, en collaboration avec les fers de lance de PC Music, label de pop futuriste : A.G. Cook, Sophie et Hannah Diamond. Sous ses apparences de catastrophe industrielle, Vroom Vroom prenait les atours du manifeste musical de Charli XCX, prête à sauver la musique pop et à l’embarquer vers le futur.

De 2016 à 2019, si Charli XCX disparaissait des radars radiophoniques, malgré les éclats de Boys en 2017 et 1999 en 2018, elle mûrissait souterrainement une nouvelle version d’elle-même par l’intermédiaire de deux incontournables mixtapes, Number 1 Angel et Pop 2. La Next Level Charli prenait forme et l’artiste se constituait une aura queer et s’entourait d’un groupe de collaborateurs talentueux, ainsi qu’une nouvelle fanbase de passionnés – surnommés « angels » – vis-à-vis desquels elle noue une relation de proximité et n’hésite pas à mettre ses émotions à nue.

Next Level Charli, c’est justement le nom du titre d’ouverture du tant attendu troisième opus de Charli XCX, logiquement nommé Charli, histoire d’affirmer cet album comme un renouveau. Charli débute sur les chapeaux de roue, avec une introduction percutante, au chant dynamique et à la production éthérée et sucrée. La chanteuse y célèbre sa transformation en popstar visionnaire, et confirme qu’un retour à l’ancienne Charli n’est pas à l’ordre du jour.

Charli est un album très personnel et son auteur n’hésite pas à afficher son état mental à vif. Partagée entre la frustration de ne pas avoir la reconnaissance qu’elle mérite, sa difficulté à tenir une relation amoureuse sur le long terme, et sa lourde tâche de définir les formes de la pop à venir, Charli XCX y chante ses paroles les plus intimes. La présence d’un titre comme Official, sublime chanson d’amour fragile, tient d’ailleurs du miracle. En effet, l’artiste ne désirait pas intégrer ce morceau, trop éloigné des party songs délirantes qui ont construit sa renommée, avant de changer d’avis grâce à l’intervention d’A.G. Cook.

Curieusement, c’est Gone, incroyable tube composé et interprété avec Christine and the Queens, qui incarne le mieux le sentiment de désenchantement diffus au sein de Charli. Derrière ces beaux atours de party song sophistiquée, Charli et Chris y chante justement le spleen des parties.

Rassurez-vous, des party songs, Charli en compte bien évidemment. On retrouve d’ailleurs deux hits bien connus, 1999 et Blame It On Your Love, avec, respectivement, Troye Sivan et la sensation Lizzo. Néanmoins, leur présence sur le disque donne plutôt l’impression d’un choix imposé par la maison de disque. Aussi funs et efficaces soient-ils, ces morceaux dénotent de l’ambiance futuriste de l’album.  1999 est une pépite nostalgique, rappelant avec malice les tubes des Spice Girls ou de Britney Spears, tandis que Blame It On Your Love est une relecture aseptisée, gentille, mais inoffensive de  Track 10, chef-d’œuvre de pop avant-gardiste qui clôturait Pop 2.

À ces deux titres, on peut opposer le génie expérimental de Click et Shake It, collaborations démentes qui ont probablement fait suer les pontes d’Atlantic Records. Dans la première, Charli invite Kim Petras et Tommy Cash à une chanson pop teintée noise qui ne ressemble à rien de connu – merci Umru et Dylan Brady, à la production. Dans la seconde, Charli s’efface et devient l’hôte d’un posse cut LGBTQ et camp mené par les artistes transgenre Big Freedia et Pablo Vittar, et les deux rappeuses ultras sexuelles Cupcakke et Brooke Candy. Une folie qui vient narguer les « Really Doe » ou « 1Train » ayant marqués le rap game de la dernière décennie.

Charli est bourré de featuring géniaux, où Charli XCX s’entoure d’artistes d’horizons lointains, formant une communauté infaillible autour d’elle. À ceux précités, on découvre stupéfait la présence de Haim sur l’autotuné Warm.  Une chanson bien éloignée des standards new-folk des trois sœurs qui paraît échappée de Pop 2. On préférera cependant Cross You Out et son refrain imparable, où Charli et Sky Ferreira s’adonnent à une relecture futuriste du goth et de la new wave. Ou bien 2099, qui conclut l’album et fonctionne comme une réponse avant-gardiste à la pop rétro et acidulée de 1999. On retrouve d’ailleurs une nouvelle fois Troye Sivan en featuring.

En contrepartie de cette avalanche de collaborations, Charli n’oublie pas de rappeler qu’elle est avant tout une artiste à part entière, et les morceaux en solo sont parmi les titres les plus surprenants de l’album. On pense aux ballades pop et minimaliste que sont White Mercedes et I Dont Wanna Know. Thoughts et Silver Cross font également partie des propositions les plus fortes de Charli.

Le troisième opus de Charli XCX est bien la réussite que l’on attendait. Un album qui enterre la concurrence, bien que son mélange de pop mainstream et futuriste reste fatalement moins marquant que la claque Pop 2. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière, mais d’une étape cruciale pour l’artiste britannique qui clôt une période de 4 ans paradoxalement riche en matière de créativité, mais passée à l’ombre de la célébrité. Toutefois, il n’est pas certain que Charli XCX ait enfin le succès international qu’elle mérite avec Charli tant l’album semble en avance sur son temps. Qu’elle se console, l’histoire lui rendra justice et on finira tous par danser sur ses tubes dans les clubs du monde entier, en 2099 !

Note: ★★★★☆

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